Vin en Provence

A MOURIÈS dans les Bouches du Rhône

Les vendanges se terminent au domaine de Lauzières, magnifique vignoble niché dans un épaulement rocheux des Alpilles, entre Mouriès et Eygalières (Bouches-du-Rhône). Les tornades qui se sont abattues sur quelques appellations de la vallée du Rhône ont épargné le sud de la Durance. Le coup de mistral qui a suivi a été « excellent pour l’état sanitaire des raisins, qui sont à maturité », indique Jean-Daniel Schlaepfer, l’un des deux heureux propriétaires, avec Gérard Pillon, de ce domaine.

Le vignoble date de l’époque où les huguenots se cachaient pour éviter les persécutions. La petite appellation d’origine contrôlée des Baux-de-Provence, reconnue en 1995 pour ses rouges, se souvient de ce passé douloureux. Une douzaine de vignerons mettent en valeur les 275 hectares de l’appellation ; ils ont presque tous fait le choix de l’agriculture biologique, ce qu’ils demandent à l’INAO de reconnaître, avec l’extension de l’appellation aux vins blancs. Sans succès jusque-là.

Aujourd’hui, sur les 32 hectares de vignes du Domaine de Lauzières, plus de la moitié ont été remplacées. Au grenache, grand cépage rouge adapté aux sols maigres et caillouteux, a été ajouté le petit verdot, cépage oublié du Bordelais, avec un palissage en forme de lyre ouverte pour capturer le soleil. Ce cépage n’est pas autorisé dans l’appellation, et le vin ne peut être millésimé. « C’est un métis, un bâtard », ironise le vigneron, qui appelle sa nouvelle cuvée Sine Nomine, suivie d’un numéro de lot 5765 qui correspond à l’année 2005 dans le calendrier hébraïque !

Désormais, la culture de la vigne obéit aux principes rigoureux de la biodynamie. Ainsi, les raisins récoltés ces jours-ci, triés et égrappés, connaîtront une fermentation alcoolique courte (de douze à quinze jours) sans soufre ni levures exogènes, puis, après un pressurage léger, une seconde fermentation au cours de l’hiver, provoquée par l’action des bactéries lactiques. Ensuite commencera l’élevage proprement dit, en cuves émaillées pour le grenache noir, tandis que le petit verdot, majoritaire, sera confié pendant une durée de douze à dix-huit mois à de curieuses amphores géantes, un tonneau comparable à un dolium, vase qui dans l’Empire romain servait de citerne à vin, à huile ou à céréales.

Sagement alignées dans le clair-obscur du chai, quarante-cinq cuves ovoïdes de 600 litres dévoilent au regard leur panse généreuse. Ce sont des cuves en ciment naturel moulé sans liant ou adjuvant de synthèse ni armature métallique, composé de chaux hydrauliques et sables argileux, mouillé à l’eau de source pour éviter le chlore. La technologie a été mise au point depuis 1992 par la maison Nomblot, en Bourgogne, à Ecuisses. Outre l’inertie thermique, la première vertu de ces oeufs géants est d’éviter les apports parasites du bois tout en bénéficiant de la micro-oxygénation inhérente à la porosité du béton d’argile. Cette forme facilite aussi le mouvement naturel des fluides et la mise en suspension continue des lies (mouvement brownien).

Avant de s’installer en Provence, Gérard Pillon et Jean-Daniel Schlaepfer ont fait leurs preuves au Domaine des Balisiers, à Peney, en Suisse. Le premier était ferblantier, l’autre avocat ; une passion commune : le vin et des idées bien arrêtées.

Ils n’aiment pas les tanins en poudre, les copeaux de chêne ni l’usage abusif de la barrique, qui donne aux vins des notes boisées, toastées ou des arômes de vanilline. Ils ont réussi, en quinze ans, à créer à Lauzières des vins originaux, intimement liés à l’expression de ce terroir d’exception. Alain Carbonneau (professeur à l’Agro Montpellier) les a soutenus dans les choix du cépage petit verdot et du palissage en lyre ouverte.

« Nous sommes en marge de la pensée viticole unique, de l’oenologiquement correct », reconnaît Dan Schlaepfer. Sine Nomine doit au petit verdot une couleur intense et, au nez, des notes complexes de tubéreux, de myrte, de mûre et de cèdre. En bouche s’exprime la puissance du fruit - mûres, airelles, sureau - avec des notes secondaires serrées (guimauve, cannelle, citron vert en finale) et des tanins subtils. En blanc, la cuvée Astérie (grenache blanc et clairette) offre une matière riche et intense.

Le procédé fait école grâce à un prosélytisme discret. Dans l’appellation, Dominique Hauvette expérimente déjà avec succès ce type de cuve ovoïde, ainsi que le Château d’Estoublon. Le Domaine Combier (crozes-hermitage), le Château de Fieuzal (pessac-léognan) se sont engagés dans la démarche, aux côtés d’une douzaine de vignerons suisses, italiens, espagnols et autant de wineries américaines.

Prochaine étape : une dégustation comparative des millésimes 2004 à 2007 chez Bernard Cavé à Ollon, en Suisse, le 28 novembre.

Jean-Claude Ribaut
Article paru dans Le Monde du 18.09.08, Visiter le site.

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